Madagascar : les lémuriens en très grand danger

Publié le par Nathalie

Les lémuriens figurent parmi les animaux les plus menacés au monde. L'ONG Conservation International (CI), basée à Washington, vient de lancer un cri d'alerte : une chasse illicite à ces primates est en cours à Madagascar, où ils sont en principe protégés. L'ONG se fonde sur des photographies envoyées par une association locale, Fanamby. On y voit des lémuriens "découpés et fumés", nous raconte le docteur Russ Mittermeier, président de CI.

Un trafic d'ampleur a débuté en mars, soit juste après le coup d'Etat qui a chassé le président malgache, Marc Ravalomanana, ouvrant une période de trouble politique. Quinze personnes de l'île ont déjà été arrêtées, membres de gangs qui vendaient les lémuriens comme viande de brousse à des propriétaires de restaurants des grandes villes du nord de l'île.

"En malgache, explique Jeanne Foltz, doctorante à l'université de Strasbourg, on qualifie certains lémuriens de "fady", c'est-à-dire "tabou"." Et la racine latine du mot, lemur, signifie "spectre" : dans certaines ethnies, l'animal était considéré comme la réincarnation des êtres disparus. Sacré, il est aussi très rare : il n'existe que sur cette île, où il s'est développé lorsqu'elle s'est détachée de l'Afrique il y a plus de cent millions d'années.

PAUVRETÉ CROISSANTE

Mais depuis une dizaine d'années, la pauvreté croissante a poussé certaines personnes à briser le "tabou", et un trafic local à des fins commerciales a commencé, explique Chantal Andrianarivo, responsable de la recherche et de la valorisation de la biodiversité à Madagascar National Parks, une ONG qui gère un certain nombre d'aires protégées aux côtés de Fanamby. Pour le docteur Mittermeier, il pourrait s'agir d'une nouvelle forme de criminalité.

Selon Mme Andrianarivo, la protection des lémuriens s'était imposée dès l'indépendance. En outre, l'animal est protégé depuis 1983, date à laquelle Madagascar a ratifié la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).

Les lémuriens massacrés cette année appartiennent à deux espèces particulièrement menacées : les lémuriens couronnés et les sifaka couronnés, de la région de Daraina (nord), récemment préservée.

Si les chercheurs s'intéressent aux lémuriens, c'est aussi, explique Emilie Genty, du centre de primatologie de l'université de Strasbourg, parce que ces animaux aident à comprendre l'évolution de nos facultés cognitives : nous partageons avec eux un ancêtre commun.

Menacés dans leur habitat par la déforestation et la culture sur brûlis, mais aussi par l'abattage illicite dans les parcs nationaux, ils pourraient être voués à disparaître. Selon Jeanne Foltz, "il y aurait 67, 2 % des espèces et sous-espèces qui risquent de s'éteindre dans les prochaines décennies". Pour préserver cette vie spécifique malgache, l'ONG CI demande à la communauté internationale de rétablir l'aide qu'elle apportait avant le coup d'Etat.

Récemment, plusieurs photographies choquantes faisaient état d’une recrudescence massive de la chasse illicite des lémuriens à Madagascar, ce qui menace la survie de nombreuses espèces.

La biodiversité propre à Madagascar est altérée à un degré scandaleux par des gangs criminels qui profitent de la désagrégation de l'ordre public à la suite du récent coup d’État. Après les nombreux rapports dénonçant les coupes et l’exportation illicites du bois dur, le dernier scandale a trait au commerce des lémuriens qui sont vendus comme viande de brousse aux propriétaires de restaurants, à l’origine du massacre des animaux – 15 personnes ont été arrêtées sur l’île en rapport avec ce délit.

Après le coup d’État au début de cette année, nombre d’organismes internationaux, parmi eux la Banque mondiale et le gouvernement des États-Unis, ont suspendu leurs initiatives de conservation et de développement à Madagascar et se sont limités à une aide strictement « humanitaire ». 

Le retrait du soutien international a affaibli la gouvernance environnementale au sein de l’île, créant de ce fait des conditions idéales qui permettent aux criminels de profiter de la situation. Depuis mars 2009, un certain nombre de catastrophes environnementales ont eu lieu sur l’un des territoires les plus importants au monde en termes de conservation de la biodiversité ; ces catastrophes s’échelonnent de l’abattage illicite des arbres dans les parcs nationaux – arbres qui sont ensuite exportés vers l’Asie –, de la collecte des animaux à des fins commerciales, et aujourd’hui à la chasse aux lémuriens qui sont vendus comme viande de brousse ; ce témoignage est le premier que nous avons reçu depuis le coup d’État.

Au dire de Dr Russ Mittermeier, président de CI et l’un des experts mondiaux sur les lémuriens : « Les conséquences sur la biodiversité de Madagascar sont absolument effroyables et le massacre de ces animaux merveilleux, paisibles et rares est tout simplement inacceptable. Son objectif n’est pas la subsistance, mais le marché « du luxe » qui sert les restaurants des grandes villes de la région. Plus grave encore, ces braconniers tuent la poule aux œufs d’or, car ils anéantissent précisément les animaux que les populations souhaitent le plus observer ; ils minent le territoire et, en particulier, les collectivités locales, en les dépouillant des futures recettes de l’écotourisme. »

Il a ajouté : « Durant la dernière semaine, Madagascar a pris d’importantes mesures pour résoudre cette crise politique et œuvrer au rétablissement de la démocratie. Il est contre-productif de la part de la collectivité internationale des donateurs de continuer à refuser un financement pour la conservation et le développement ; cette décision ne fait qu’encourager la mauvaise gouvernance des ressources naturelles du pays. 

La communauté mondiale doit agir immédiatement pour soutenir les organismes de protection de la faune et de la flore locales qui luttent pour empêcher la destruction de cette importante ressource dans le monde. »

Il est capital de protéger les écosystèmes, la faune et la flore menacées de disparition à Madagascar, et pas seulement pour leur valeur scientifique. Les 20 millions d’habitants de l’île dépendent en majeure partie de l’écotourisme – cette industrie s’est effondrée depuis le coup d’État, mais elle pourra être rétablie rapidement une fois que la situation sera résolue. Les forêts de Madagascar jouent également un rôle crucial dans la lutte contre le changement climatique ; plusieurs projets pilotes menés par CI sur l’île ont prouvé que la protection des peuplements forestiers et le reboisement des zones dégradées peuvent procurer des avantages substantiels aux collectivités locales tout en réduisant les émissions de gaz carbonique. »

Dr Mittermeier a conclu : « Voilà ce qui se produit lorsque la communauté mondiale veut punir les leaders d’une nation en supprimant la quasi-totalité de son aide. Il nous faut repenser la réaction de la communauté internationale aux crises politiques à l’avenir et non accabler le plus lourdement ceux qui ont le plus besoin d’une aide. »

Publié dans Biodiversité

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