Afrique : bois illégal en hausse

Publié le par Nathalie

Jean-Dedieu repère un arbre, puis discute avec le chef du village. Une fois l'affaire conclue, pour quelques dizaines de milliers de francs CFA (quelques dizaines d'euros), il déballe sa tronçonneuse et commence son travail. Cinq hommes suffisent pour abattre et débiter l'arbre aux dimensions fixées par le commanditaire. Puis, pour quelques milliers de francs CFA de plus, les enfants du village portent les planches jusqu'au bord de la route, où un camion-grumier enlève la précieuse cargaison d'iroko, de moabi, de sapeli ou de wenge. Direction le port de Douala, puis l'Europe. 

A 39 ans, Jean-Dedieu n'était pas destiné à rejoindre les rangs des milliers de bûcherons clandestins qui, au Cameroun, pillent la forêt de ses essences exotiques, si prisées sur le marché européen pour la construction de planchers, de portes ou de meubles. "Je suis biochimiste, mais je n'ai jamais trouvé de travail", dit-il. Il y a trois ans, après avoir été vendeur de pneus d'occasion, il a décidé de se lancer dans le commerce illégal du bois. Jean-Dedieu est le premier maillon d'une chaîne bien huilée qui, de la forêt jusqu'aux plates-formes d'exportation, ne pourrait fonctionner sans la bienveillance d'une administration corrompue qui, à chaque étape, délivre les indispensables blancs-seings. L'existence de ce trafic, dans lequel sont impliqués de hauts cadres du ministère des forêts et des personnalités proches du pouvoir, est de notoriété publique à Yaoundé.

Les bailleurs de fonds, exaspérés par cette situation alors qu'ils financent un plan de 40 milliards de francs CFA (60 millions d'euros) pour l'exploitation durable, ont demandé d'agir à Elvis Ngolle Ngolle, ministre en charge du portefeuille. Celui-ci a promis, il y a quelques mois, de faire un grand ménage. Quelques têtes sont tombées au ministère, puis la volonté s'est émoussée et le cabinet d'audit international censé faire la lumière sur cette affaire n'a toujours pas été désigné.

Cet attentisme pourrait être bousculé par la publication, mardi 13 mai, d'un rapport de l'organisation non gouvernementale Les Amis de la Terre. Fruit de deux ans de travail, ce document détaille les pratiques qui permettent de maquiller des coupes illégales en importations tout à fait légales dans les ports européens. La palette est vaste. En plus des coupes sauvages, possibles grâce à l'achat d'un réseau local d'influences (administration forestière, gendarmerie, armée, etc.), l'accès à la ressource est assuré grâce au trafic de titres d'exploitation. A côté des grandes concessions, soumises à une gestion forestière plutôt stricte, sont distribués des "petits titres". Leur nombre a doublé en 2007, et c'est sur eux que s'appuient les réseaux frauduleux. Exemples à l'appui, Les Amis de la Terre montrent comment les "autorisations de récupération de bois", délivrées en principe lors de l'ouverture de routes ou de la création d'infrastructures, dissimulent souvent des projets fictifs. Une fois abattu, le bois, grossièrement débité, est acheminé vers des scieries, elles aussi clandestines, afin d'être façonné. Depuis 1994, le Cameroun exige que les grumes soient transformées sur place.

Enfin interviennent les opérations de blanchiment. Quasi institutionnalisées. "Sur le bac qui traverse le fleuve Sanaga, dans le centre du pays, la grille des tarifs prévoit un montant spécial pour les camions clandestins visé par le conseiller municipal", affirment Les Amis de la Terre. Les sceaux sans lesquels le bois ne peut circuler et a fortiori quitter le pays font l'objet d'une juteuse contrebande. Qui conduit, par exemple, à constater que certains exploitants ont reçu l'autorisation de couper plus de 100 m3 à l'hectare quand la norme, dans les forêts tropicales les plus riches, ne dépasse pas 5 m3. L'ampleur réelle du phénomène est difficile à évaluer. Les chiffres varient entre 15 % et 40 % des volumes exportés. Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'Union européenne négocie actuellement avec le Cameroun un accord pour obtenir des garanties sur la traçabilité des marchandises achetées.

Cet accord, baptisé Flegt (Forest Law Enforcement, Governance and Trade), s'inscrit dans le cadre d'un partenariat pour la préservation des forêts du bassin du Congo. Le Cameroun est le premier pays à s'être porté volontaire. "Nous bouclerons les négociations avec Bruxelles d'ici à la fin de l'année", affirmait récemment Denis Koulagna Koutou, secrétaire général du ministère des forêts.

Mais que vaut la signature de l'Etat camerounais ? "Nous avons dépensé beaucoup d'argent dans le secteur forestier. Si la corruption n'est pas sanctionnée, nous nous retirerons", met en garde un diplomate occidental, sous couvert d'anonymat. L'avertissement est clair.

Article paru dans le Monde du 14.05.08 :

http://www.lemonde.fr:80/sciences-et-environnement/article/2008/05/13/au-cameroun-le-trafic-de-bois-illegal-continue-de-prosperer_1044250_3244.html

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